21 mai 2024 à 11h40 par Maxime MARTINEZ

"On est à cran" : pourquoi les pharmaciens sont en grève

Après une grève des gardes ce week-end, les pharmaciens vont tirer le rideau le 30 mai prochain, lors d'un mouvement de grève. Pourquoi cette colère? Que demandent-ils? RCA a interrogé Denis Millet, co-président du syndicat des pharmaciens de Loire-Atlantique.

Grève des pharmacies
Grève des pharmacies
Crédit : Maxime Martinez / RCA

Quelles sont les raisons de votre colère ? 

La colère est un peu multiple : beaucoup de choses s'accumulent. Ça commence par les ruptures de médicaments où on a l'impression que personne ne fait quoi que ce soit, que ce soit l'État ou que ce soit les laboratoires. On est toujours, en permanence, en rupture.

On est aussi en négociation avec la Sécu depuis pas mal de temps et les propositions qui sont faites sont vraiment très inférieures à ce qui serait nécessaire pour sauvegarder le réseau, c'est à dire le maillage officinal. On commence à perdre beaucoup de pharmacies et même en Loire-Atlantique, des pharmacies qui sont seules au pays. On a eu deux cas cette année. (Ndlr : les seules pharmacies de Teillé et Marsac-sur-Don ont fermé ces derniers mois).

On trouve qu'il y a des mesures à prendre et qu'il n'y a rien qui bouge. C'est pour cela que les pharmaciens sont en colère et que ce week-end la plupart de ceux qui étaient de garde se sont déclarées en grève.

Où en est on de la pénurie de médicaments aujourd'hui ? 

C'est toujours la catastrophe. On n'arrive pas à avoir d'antibiotiques, on n'arrive pas à avoir des produits pour le diabète, on a quelquefois des anticancéreux qu'on n'arrive pas à avoir. Chaque pharmacie doit passer presque deux heures par jour à chercher désespérément les produits qui lui manquent.

Puis les signaux sont mauvais : l'État avait augmenté légèrement, de 10%, tous les antibiotiques urgents comme le clamoxyl, l'amoxicilline... Mais, au 1er mai, ils viennent de les rebaisser : on ne comprend pas ce qui se passe. Pourquoi l'augmenter pendant six mois et le rebaisser après. Quel signal envoie-t-on aux laboratoires aujourd'hui? Vous avez gagné de l'argent pendant six mois, mais maintenant c'est bon? Ce n'est pas un signal pour un investissement à long terme. On ne comprend pas bien à quoi l'État joue.

Sait-on combien est-ce qu'il y a de médicaments en rupture de stock aujourd'hui ?

Alors on a toujours des chiffres, c'est aux alentours de 4.000 références. Le problème c'est que quand on parle d'une molécule, chaque laboratoire a six ou huit références, multiplié par dix ou 20 labos, on arrive tout de suite à une centaine de produits. En permanence, on a une liste.

Après, il y a des petits produits annexes sur lesquels il y a des ruptures aussi, et on arrive à compenser parce que lorsqu'il manque un générique d'une marque, on va trouver celui d'une autre marque. Mais c'est très perturbant pour la clientèle, notamment âgée, qui se retrouve à ne pas avoir la même boîte d'un mois sur l'autre.

Combien d'officines ont fermé en Loire-Atlantique depuis le COVID ? 

Alors depuis le COVID, on va être autour d'une dizaine. On en perd deux ou trois pharmacies par an dans le département. Depuis que je suis en commission paritaire avec la Sécu, on a 57 officines qui ont disparu en Loire-Atlantique sur une vingtaine d'années. 

Ça veut dire un service de proximité de santé qui ferme, d'autant plus alors qu'il y a actuellement des des zones noires au niveau de la santé, notamment pour les médecins généralistes ?

Le problème c'est que souvent il y a un effet cumulatif, c'est-à-dire que quand on n'a plus de médecin généraliste,  la pharmacie est un peu désertée parce que les patients vont voir un médecin ailleurs et que souvent les patients vont chercher leurs médicaments en sortant de chez le médecin. C'est ce qui aggrave le phénomène pour la pharmacie.

C'est pour cela qu'on voit maintenant des fermetures, là même où il y a des déserts médicaux. On commence à voir ce phénomène, qui existait en milieu rural, dans des zones en augmentation de population.

Est-ce qu'il y a un risque pour le réseau des officines ?

On est très sensibles, en officine, au fait qu'on est très bien répartis partout en France et on est donc très inquiet de ce phénomène de disparition de pharmacies. En Loire-Atlantique, on est moins touchés. Mais quand je suis allé en Lozère, il y n'a pas longtemps, il reste 33 pharmacies dans tout le département.

Je ne sais pas où on va, mais dès qu'une pharmacie disparaît, et il y en a qui disparaissent dans ces coins-là, c'est tout de suite des trajets de 20 à 25 km avant de trouver une officine. On veut absolument préserver ce modèle (ndlr : un maillage dense de pharmacies) qui est vraiment très efficace. Malheureusement, on a l'impression que l'État n'a pas bien compris ce phénomène et qu'il n'est pas capable de nous accompagner pour la sauvegarde de ces pharmacies et de ce réseau. 

Qu'est ce que vous demandez à l'État aujourd'hui ? 

Les mesures concrètes pour nous, c'est déjà une revalorisation de nos honoraires. Maintenant les trois-quarts de notre rémunération est constitué d'honoraires et non pas lié au prix du médicament. On demande une revalorisation de ces honoraires parce que depuis 2019, avant le COVID donc, il n'y a jamais eu de revalorisation.

Avec une inflation qui est aux alentours de 17% sur cette période, on en a besoin, sachant qu'on a des une inflation des charges, comme tout le monde. D'autant qu'on a eu une inflation des salaires pour compenser l'inflation des prix. Pour nos salariés c'est logique, mais donc on a besoin que nos honoraires soient réajustés pour pouvoir compenser un peu toutes ces augmentations.

Aujourd'hui, il y a un ras le bol des pharmaciens en Loire-Atlantique ?

Et pas qu'en Loire-Atlantique. Il y a cette sentation de ne pas être écouté, de ne pas être compris, de ne pas être respecté par par l'ensemble des structures. Ces ruptures de médicaments nous amènent à avoir des conflits et ça pèse beaucoup sur le moral des pharmaciens. C'est vrai qu'on a des pharmaciens qui sont assez ulcérés avec un sentiment de dégradation, de non-considération, par les instances gouvernementales essentiellement. Ce qui fait que les pharmaciens sont très à cran depuis quelques temps. 

Interview réalisée vendredi 17 mai avant le mouvement du week-end du 18/19 mai


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